
Selon des recherches menées par Christine Porath, Professeur en Management à Georgetown University et de Christine Pearson, Professeur en Global Leadership à Thunderbird, Arizona, plus de 50% des salariés interrogés estiment ne pas être respectés par leurs employeurs et ont déclaré avoir été victimes d’incivilités au moins une fois par semaine sur leur lieu de travail. Ces incivilités au travail englobent un éventail de comportements inappropriés qui, bien que non violents, créent un environnement de travail hostile. Elles incluent les remarques désobligeantes ou insultantes, des commérages, des blagues de mauvais goût, ne pas dire bonjour aux autres, passer son temps à faire des critiques non constructives, couper la parole, adopter un mauvais comportement en général, ne pas répondre aux appels ou emails dans des délais raisonnables, arriver systématiquement en retard pour les rendez-vous ou réunions,….
Ces résultats ne sont pas étonnants. On a tous l’impression que les incivilités et impolitesses petites et grandes augmentent à la fois au travail et dans la société en générale. Dans un environnement professionnel, ces incivilités et impolitesses prennent différentes formes et peuvent être commises par des managers, des subordonnées ou par des collègues.
Au travail, on a peut-être connu ou croisé un hiérarchique autoritaire, voire tyrannique qui harcèle ses collaborateurs, les insulte, ne reconnaît jamais les efforts fournis, voire dévalorise le travail fait, qui accuse les autres de ses propres torts, qui prend le crédit pour le travail fait par les autres, qui n’hésite pas à critiquer ou émettre des remarques désobligeantes devant d’autres, qui interrompt sans cesse, qui hausse le ton ou qui s’énerve quand il/elle n’a pas ce qu’il/elle attend, qui pense tout savoir et fait à la place des autres, ne reconnaissant jamais le périmètre des autres.
Ou encore un collègue ou subordonné qui ne dit jamais bonjour, qui ignore ses collègues, qui répond jamais aux emails, arrive systématiquement en retard, qui coupe la parole des autres, qui écrit ses emails ou consulte sans cesse son smart phone en réunion, qui n’hésite pas à critiquer les autres devant la machine à café, voire passe son temps à répandre des commérages et rumeurs autour de lui sur des collègues, son manager, la Direction, qui prend les autres de haut, qui ne dit jamais merci,…
Ces incivilités et impolitesses sont souvent des irritants qui pris isolement ne sont pas graves en soi mais qui peuvent avoir des conséquences importantes quand ils sont répétés et/ou deviennent la norme au sein d’une équipe.
Ces incivilités et impolitesses ont certainement un impact important selon les salariés interrogés par Porath et Pearson. En effet, face à de tels comportements:
- 48% des salariés interrogés ont admis avoir délibérément réduit leur investissement au travail
- 47% ont réduit leur temps passé au travail
- 38% ont délibérément réduit la qualité de leur travail
- 80% ont perdu du temps de travail en s’inquiétant des conséquences de ces incivilités à leur égard
- 63% ont perdu du temps de travail en évitant les auteurs de ces incivilités
- 66% ont estimé que leur performance au travail a été dégradée
- 78% ont estimé que leur engagement envers l’organisation a été érodé
- 12% ont affirmé qu’ils ont quitté l’entreprise à cause de ces incivilités
- 25% ont admis évacuer leurs frustrations sur les clients
Parmi les conséquences de ces comportements inciviles:
- La créativité des salariés en prend un coup
Les recherches de Porath et Pearson suggèrent que les salariés traités d’une manière incivile ou discourtoise ont tendance à être moins créatifs que les salariés traités avec respect. Ils produisent moins d’idées et ces idées étaient moins originales. Les salariés ou équipes exposées à l’impolitesse, que ce soit de la part des collègues, des superviseurs ou de clients, ont montré une réduction du partage des informations et du partage de la charge de travail, deux éléments essentiels à la performance d’une équipe.
- La performance et l’esprit d’équipe sont dégradés à la fois pour les victimes et pour les témoins.
Ce n’est peut-être pas étonnant que la performance et l’esprit d’équipe des victimes de ces comportements en soient impactés. Mais les mêmes études montrent que ces impolitesses ont un effet négatif non seulement sur les salariés directement visés mais également sur les salariés témoins de ces comportements, même si ceux-ci ne sont pas directement ciblés. Non seulement les témoins de ces comportements faisaient preuve de moins de créativité et étaient moins productifs mais ils étaient également moins disposés à aider les autres, même quand le salarié à aider n’avait aucun lien hiérarchique avec le salarié auteur du comportement incivile ou avec le salarié victime. Ces comportements hostiles contribuent donc à la démotivation et au désengagement des salariés, à la mauvaise coopération, à la mauvaise qualité, au “quiet quitting” et au taux de démissions des salariés.
- Les clients rejettent les cultures d’entreprises “inciviles”.
Les comportements inciviles ont un impact négatif sur les clients. Nous sommes tous allergiques au manque de respect et les salariés victimes de comportements inciviles risquent d’adopter ces mêmes comportements inciviles dans leurs relations avec les clients. Pire, les études montrent que les clients témoins de ces comportements (par exemple un responsable qui critique un collaborateur devant un client ou un salarié qui critique un collègue au même client) préfèrent aller ailleurs que de cautionner un comportement qui dégrade un interlocuteur chez son fournisseur.
- Gérer les incidents résultant de ces comportements inciviles prend beaucoup de temps
Tout responsable RH et/ou manager sait que gérer les conséquences de ces incidents prendre beaucoup trop de temps qui aurait pu être mieux utilisé sur des sujets plus critiques pour l’entreprise. Porath et Pearson font référence à une de leurs études qui indique que les managers au sein des sociétés Fortune 1000 passent 13% de leur temps de travail à gérer les conséquences de ces comportements.
Que peut faire un Leader face à la montée de ces incivilités toxiques?
- Donner l’exemple
Tout escalier se balaie par le haut. Les leaders donnent le ton et tout manager doit d’abord être conscient de son comportement et de l’impact de son comportement sur les autres. Selon Porath et Pearson, 25% des managers qui ont admis s’être mal comportés envers des collaborateurs ont affirmé qu’ils avaient pris l’exemple sur leurs N+1!

On a les comportements que l’on rémunère. Si une organisation non seulement tolère des comportements inciviles chez un manager mais valide ce comportement en promouvant ce manager au sein de l’organisation, on donne un signal clair à tous sur les comportements à adopter pour réussir au sein de l’organisation. Pour réduire, voire éliminer ces comportements inciviles, le leader doit donc donner l’exemple et la Direction doit valoriser les bons comportements et pénaliser les incivilités. Difficile de demander aux autres de couper leur portable en réunion si le leader ne le fait pas. Difficile de demander à un chef d’équipe de reconnaître ou saluer la performance de ses collaborateurs si sa hiérarchie ne le fait pas vis à-vis de lui. Difficile de demander à un collaborateur de ne pas couper la parole de ses collègues en réunion si sa hiérarchie lui fait subir le même traitement
2. Demander du feedback à ses collaborateurs
Les perceptions sont plus importantes que les intentions et il ne faut pas hésiter à solliciter les avis de ses collaborateurs si un leader veut ajuster son comportement tout en donnant l’exemple. Porath et Pearson suggèrent aux managers de tenir un journal avec des exemples de comportements inciviles au sein de leurs équipes et de noter les actions correctives à prendre.
3. Suivre son progrès et celui de son équipe.
On ne manage pas ce que l’on ne mesure pas et il est important de suivre son progrès dans le temps. Si on ne se donne pas des objectifs pour réduire, voir éliminer les incivilités au sein de son organisation, si on ne prend pas des actions pour atteindre ces objectifs et si n ne mesure pas les résultats, il est certain que rien ne se passera, les incivilités continueront à se propager et les conflits interpersonnels se proliférant.
4. Prendre des mesures au niveau de l’organisation
Il ne suffit pas de prendre des mesures au niveau individuel. Il faut aussi prendre des actions au niveau de l’organisation dans son ensemble.
- Faire de la civilité un critère de recrutement
Il va de soi que mieux vaut prévenir que guérir et autant que possible, éviter de recruter des collaborateurs qui ont un potentiel de comportement incivile. Impliquer l’équipe dans le recrutement pour leur permettre d’évaluer leur futurs collègues. Utiliser les tests d’évaluation qui permettent d’évaluer l’intelligence émotionnelle et les capacités d’intégration des futurs candidats. Aborder le sujet des comportements inciviles en entretien d’embauche avec les candidats pour mesurer leurs réponses. Porter attention à la ponctualité des candidats, leur façon de s’exprimer, les propositions qu’ils proposent pour résoudre des potentiels conflits au travail. Demander des références aux candidats surtout pour des postes d’encadrement.
- Former les managers à l’importance de l’empathie et de l’intelligence émotionnelle

Selon Porath et Pearson, étonnamment, certains managers et salariés interrogés ne savent pas faire la différence entre des comportements civiles et inciviles. 25% des salariés sondés n’ont pas reconnu certains comportements comme étant inciviles ni les impacts négatifs sur leurs interlocuteurs. Il est donc important de définir ce que l’on attend de chacun en termes de comportements civiles au travail. La civilité pour être apprise, l’intelligence émotionnelle et l’empathie peuvent être réveillées et/ou développées pour créer une culture de travail positif: Dire bonjour et au revoir, sourire, pratiquer une politique portes ouvertes, aborder les sujets difficiles avec les collègues directement au lieu d’échanger des emails, éviter les propos critiques incendiaires visant la personne, louer en public et critiquer en privé quand on est manager, donner du feedback constructif qui ne met pas en question la personne mais focalise sur le comportement à améliorer, rassurer le collaborateur, ne pas couper la parole, laisser les autres s’exprimer avant de s’exprimer, reformuler pour vérifier que l’on a bien compris, arrêter d’écrire ses emails en réunion, respecter les agendas des uns et des autres, arriver heure, répondre aux emails et appels, la liste est longue de comportements simples à adopter et à systématiser pour rendre l’environnement de travail plus positif et productif.
- Mettre en place un code éthique

Au lieu d’imposer des règles sur ses collaborateurs, lancer une discussion au sein de l’équipe sur les bons comportements civiles à adopter et les mauvais comportements à écarter. Généraliser le débat au sein de l’organisation pour créer et maintenir une culture organisationnelle de la civilité et de la politesse. Rédiger ensuite une charte de bonne conduite qui résume les bons comportements à encourager et les mauvais comportements à éviter avec des exemples concrets. Intégrer ce code dans le processus d’intégration des nouveaux salariés et dans les revues annuelles.
- Récompenser les bons comportements
Finalement, il faut évaluer non seulement la performance individuelle mais également la performance collective lors de la revue annuelle qui doit clairement permettre aux managers d’évaluer les comportements civiles attendus au travail. Souvent comme rappelle Porath et Pearson, les revues annuelles insistent plus sur les livrables business au détriment de l’impact du collaborateur sur le collectif. Atteindre ses objectifs individuels au détriment de ses collègues et/ou de l’équipe érode la performance collective à moyen terme.
- Pénaliser les mauvais comportements
Evidemment, il faut aussi pénaliser les mauvais comportements. Trop souvent, les entreprises laissent passer les incidents et comportements inciviles de certains collaborateurs, voire récompensent ces managers pour leurs performances techniques en ignorant le mauvais comportement de ces collaborateurs envers leurs collègues et/ou équipes.
Il faut donc permettre aux salariés de remonter en interne des comportements inciviles dont ils s’estiment victimes, traiter chaque plainte sérieusement et donner un retour au salarié concerné sur les actions prises. Il faut surtout agir rapidement. Porath et Pearson cite un directeur qui reconnaît que les erreurs commis concernent des actions prises trop tardivement pour traiter ces situations et non pour avoir agi trop tôt.
Trop souvent, les entreprises sont focalisées sur les résultats financiers ou commerciaux et insister sur une culture de civilité semble être un luxe, voire extravagant. Il suffit néanmoins d’un seul manager ou collaborateur positionné à un niveau stratégique au sein de l’organisation pour que ses incivilités occasionnent des coûts importants pour la société en termes de turnover, de clients perdus et de productivité dégradée.
Pour conclure, au lieu d’être des irritants mineurs, les incivilités et impolitesses au travail impactent la performance des équipes et génèrent des conséquences importantes pour l’entreprise et pour ses salariés: stress, mauvaise qualité et erreurs, retards, insatisfaction des clients, démotivation, désengagement, quiet quitting, démissions. Parfois les conséquences peuvent être graves. D’autres chercheurs à l’Université de Floride, USA, ont découvert que l’impact de ces incivilités est disproportionné à son intensité et que même des comportements inciviles mineurs peuvent générer des conséquences beaucoup plus importantes et notamment au sein d’équipes médicales où la coopération, la solidarité et le partage des informations dans la délivrance de soins critiques sont primordiales. Il ne faut donc pas traiter les incivilités au travail comme mineures ou marginales mais les traiter comme des agents toxiques à combattre, comme on combattrait un virus.
Pour aller plus loin:
Découvrez Christine Porath sur Ted Talks.